Il y a 40 ans, Anderlecht remportait la Coupe d'Europe: "Notre prime de 9.000€ ? Dépensée à Paris!"
Reconstitution de la finale de la Coupe d’Europe de 1978 contre l’Austria Vienne - il y a exactement 40 ans - avec Rensenbrink et Van Binst comme buteurs et vedettes.
- Publié le 03-05-2018 à 13h15
- Mis à jour le 03-05-2018 à 13h16
Reconstitution de la finale de la Coupe d’Europe de 1978 contre l’Austria Vienne - il y a exactement 40 ans - avec Rensenbrink et Van Binst comme buteurs et vedettes.
Voilà jour pour jour 40 ans qu’Anderlecht a remporté sa deuxième Coupe d’Europe, la Coupe des Vainqueurs de Coupe, après un formidable 4-0 au Parc des Princes de Paris, contre l’Austria Vienne. Nous avons contacté les protagonistes de cette merveilleuse victoire. Ils se souviennent de tellement d’anecdotes, que nous avons pu reconstituer l’avant, le pendant et l’après de la finale. Lundi, le 1er mai 1978
Les Anderlechtois s’apprêtent à s’entraîner une dernière fois dans leurs propres installations avant la finale, la troisième en trois saisons. En 1976, Anderlecht avait battu West Ham (4-2) au Heysel. En 1977, Hambourg avait été trop fort (2-0 à Amsterdam). L’attention des Mauves est attirée par un article de journal, accroché au mur du vestiaire.
Un des frères Sara, un joueur de l’Austria, déclare que Robby Rensenbrink, la vedette du Sporting, est un joueur surfait. Rensenbrink est le seul à ne pas prendre la peine de lire l’article. Et donc, Van Binst lui raconte le contenu. Il en rajoute évidemennent une couche. "Ce gars dit que tu ne vaux rien, Robby", lui dit-il. "On verra bien", est la seule réponse du Soulier d’Or de 1976.
Mercredi, 3 mai, 19h15
Les joueurs sont prêts à monter sur le terrain pour l’échauffement. Le stade est comble, 48.679 tickets ont été vendus. Raymond Goethals a un message important pour les joueurs. "Je viens de jeter un coup d’œil dehors", dit l’entraîneur d’Anderlecht. "On ne voit que du mauve et blanc dans le stade. 50.000 personnes ont fait le déplacement de Bruxelles. On joue un match à domicile ! Il faut gagner pour eux !"
Goethals oublie que l’Austria joue également en mauve et blanc. Johnny Dusbaba, défenseur néerlandais d’Anderlecht : "Ce n’était pas une blague de sa part. Il pensait vraiment qu’il disait la vérité." Les joueurs n’osent pas rire tout haut. Goethals est très stressé. Il a fortement été critiqué par les supporters, parce que Bruges a remporté le titre avec deux points d’avance.
Puis Goethals prend Van Binst à part. "Ce Widmer qui joue sur ton flanc, il est beaucoup plus rapide que toi. Sauf... quand il boîte." Van Binst comprend qu’il s’agit de Pirkner et non pas de Widmer, mais le message est passé.
Mercredi 3 mai, 19h55
Les équipes montent sur le terrain. Le jeune Vercauteren traduit le sentiment de l’équipe. "On sentait qu’on allait les bouffer."
Après deux minutes de jeu, déjà, l’arbitre allemand Aldinger refuse de siffler un penalty grand comme une maison après une faute sur Rensenbrink. Mais dans les minutes suivantes, le regretté Nico De Bree doit sortir le grand jeu à deux reprises. "On est passés par le chas de l’aiguille", précise Arie Haan. Anderlecht est réveillé.
À la 13e, un centre banane de Vercauteren - sa marque de fabrique - trouve Rensenbrink, qui trompe Baumgartner au premier poteau (1-0). À la 44e, Rensenbrink brosse un coup franc autour du mur dans le coin gauche du portier autrichien (2-0). Robby est l’homme de la première mi-temps. Il en fait voir de toutes les couleurs aux frères Sara, qui l’avaient critiqué. Il a pris sa revanche sur le terrain.
Entre-temps, un certain Pirkner se tort de douleur après un tacle de… Van Binst, qui n’a pas oublié les mots de Goethals. Le Gille ne reçoit même pas la jaune. Pirkner reste sur le terrain, mais ne sait pas suivre Van Binst, déchaîné sur son flanc droit. "Quand Ludo Coeck avait le ballon, je savais que je devais me tenir prêt", dit Van Binst. Après un grand pont, il se retrouve face-à-face avec Baumgartner. Sa finition est parfaite (3-0). À la mi-temps, le match est joué.
En fin de match, bis repetita. Coeck lance Van Binst. Cette fois, il fait un crochet et brosse - du pied gauche, de l’extérieur du grand rectangle - le ballon dans la lucarne gauche (4-0). Le but est l’un des plus beaux de l’histoire européenne d’Anderlecht. Van Binst : "Je ne savais pas trop quoi faire. Personne de mes coéquipiers n’avait suivi. Pensaient-ils déjà à l’endroit où on sortirait, cette nuit-là ? J’ai donc tenté ma chance. J’avoue que j’ai eu de la réussite. J’ai pensé appeler ma femme pour savoir si je n’étais pas cocu…"
Cette fois, les carottes sont cuites. Les plus de 30.000 Anderlechtois font la fête, et le banc ne parvient pas à rester assis. Jacky Munaron : "Quand Goethals a remarqué que nous étions euphoriques, il s’est retourné et a crié : ‘Arrêtez, bande de ‘zievereirs’. On n’a pas encore gagné ! Avec ces Autrichiens, on ne sait jamais !’"
Néanmoins, Goethals offre trois minutes de jeu à Jean Dockx, qui - à 37 ans - fête ses adieux comme footballeur.
Mercredi 3 mai, 21h55
Le président de l’UEFA, Artemio Franchi, remet la deuxième Coupe d’Europe à Robby Rensenbrink, qui avait déjà remporté celle de 1976 contre West Ham. "Des trois finales européennes consécutives, c’est celle contre l’Austria Vienne qui m’a fait le plus plaisir", nous dit l’homme serpent. "Non seulement parce que j’ai marqué deux fois - j’avais aussi mis deux buts contre West Ham - mais aussi parce que l’ambiance à Paris était encore meilleure qu’au Heysel. Le Parc des Princes était un formidable stade. Un des plus beaux en Europe, à ce moment-là."
Mercredi 3 mai, 22h15
Dans son interview d’après-match, Goethals fait allusion au match contre Hambourg, au second tour. "La vraie finale, c’était ce match contre Hambourg (NdlR: 1-2 à Hambourg et 1-1 à Anderlecht). Nous voulions notre revanche pour la finale de 1977 perdue contre Hambourg. Et le Hambourg actuel est encore plus fort, vu qu’il a acheté l’Anglais Kevin Keegan."
En ayant gagné le combat dans l’entrejeu face à l’Austria, Arie Haan obtient ce qu’il veut : de bons points en vue du Mondial 1978. Avant la demi-finale contre Twente (0-1 et 2-0) il avait utilisé les médias pour mettre la pression sur le coach fédéral, Ernst Happel. "J’avais dit dans les journaux que je ne comprenais pas pourquoi Arnold Mühren de Twente était dans la sélection et moi pas. Mühren était réserviste à l’Ajax quand j’y étais… Aussi bien contre Twente que contre l’Austria, j’avais montré ma valeur. Et je suis allé au Mondial en Argentine, où on a joué la finale."
Mercredi, 3 mai, 23h30
Comme après chaque grand match européen, un banquet est prévu à l’hôtel. Le champagne coule à flots. Haan sourit. "Toutes les bouteilles que nous avions commandées, nous les avions mises sur la note de la chambre du docteur Malvaux."
Ensuite, les joueurs plongent dans la nuit parisienne. "Georges Denil, le délégué de notre époque, avait donné une enveloppe à chaque joueur", se souvient Dusbaba. "Je crois qu’elle contenait 10.000 francs, soit 250 euros. C’était de l’argent de poche pour faire la fête. Ce n’était pas encore la prime."
Munaron se souvient avoir été au Crazy Horse. "Avec nos femmes. Nous avons scandé le nom de Constant Vanden Stock, qui devait faire un discours sur le podium."
Van Binst, lui, se retrouve avec des coéquipiers Chez Castel, la boîte la plus classe de Paris. Van Binst : "Normalement, on ne pouvait pas y rentrer, mais vu que je connaissais Jacky Dupont, le gérant du club privé bruxellois Saint Louis - l’endroit préféré de Johnny Hallyday, Claude Brasseur, Jacky Ickx et d’autres vedettes - les portes se sont ouvertes pour nous."
Ce soir-là, Catherine Deneuve est présente Chez Castel. Van Binst : "‘Nous sommes des rugbymen’, lui ai-je inventé en allant aux toilettes. À mon retour, elle m’a répondu : ‘Monsieur est un petit menteur ! Vous êtes des footballeurs !’ Vu que le champagne était trop cher - il aurait fallu faire un prêt à la banque pour pouvoir le payer - j’ai bu du Ricard."
Jeudi, 4 mai, 11 heures
Le départ de Paris ne se déroule pas comme prévu. Le docteur Malvaux n’en revient pas quand la réceptionniste lui remet l’addition pour sa chambre. Haan : "Il était fou furieux. Je crois que finalement, les joueurs ont fait une cagnotte pour régler sa note très salée…"
Lors du voyage retour en train, Van Binst n’est pas dans le compartiment des joueurs. "J’ai passé tout le trajet à la toilette à cause de ce Ricard. J’étais malade comme un chien. De toute ma vie, je n’en ai plus jamais bu. Je suis déjà malade en voyant une bouteille."
Jeudi, 4 mai, 15 heures
Quand le train des Mauves arrive à Bruxelles Midi, une foule immense attend les héros. Van Binst : "Ils étaient 10.000. C’était le chaos total. J’ai failli vomir quand les supporters m’ont sauté dessus."
Dusbaba : "Moi, c’est surtout cette image des milliers de supporters à Bruxelles Midi qui est restée gravée dans ma mémoire."
Rensenbrink : "Déjà dans le train, il y avait des supporters. Ils avaient chanté tout au long du trajet."
Munaron : "C’était vraiment la folie. Les supporters sont montés sur les rails. C’était dangereux. Mais à l’époque, il n’y avait pas de car avec un toit ouvrant pour nous célébrer en ville. Gagner une Coupe d’Europe était une chose normale à Anderlecht. Moi, j’ai vécu cinq finales en neuf ans !"
Jeudi 4 mai, 22 heures
La fête se poursuit au Number One, la discothèque de Nico De Bree. "Sans moi", dit Van Binst. "J’étais encore trop malade. C’est la seule fois de toute ma carrière que je ne suis pas sorti avec les autres."
Et quid de la prime ? Van Binst : "365.000 francs belges par joueur, soit 9.000 euros. Mais en faisant mes comptes, c’était presque ce que j’avais dépensé à Paris pendant cette nuit folle Chez Castel. L’enveloppe de Georges Denil n’avait pas suffi. Cela n’a pas trop fait rire ma femme. Mais une victoire finale en Coupe d’Europe, il faut quand même la fêter, non ?"